Grand Genève: l’arrogance du Prince

CONSEIL D’ÉTAT • Pas sûr qu’en traitant de bouseux et d’arriérés ceux qui doutent du «Grand Genève», le Prince ne les rallie à sa cause. Nos autorités sauront-elles, un jour, recevoir et interpréter les signaux du peuple?

  • François Longchamp, président du Conseil d’Etat. DR

    François Longchamp, président du Conseil d’Etat. DR

«Dans la bouse, on laisse gauger le petit peuple. Jusqu’à quand?»

Pascal Décaillet

Le 18 mai dernier, le peuple souverain de notre canton a rejeté le financement des parkings P+R en France voisine. On s’en félicite ou on le déplore, mais c’est un fait. Une décision du corps électoral. Un signal, aussi, de défiance par rapport à une notion de «Grand Genève» que nul ne comprend, tant elle est illisible, comme nous l’avons souvent souligné ici. Un signal que nos autorités doivent recevoir, et interpréter. Elles n’ont certes pas à s’aligner aveuglément sur les vainqueurs, mais enfin lorsque le peuple a parlé, il n’est peut-être pas inutile d’en tenir compte. Et lui donner quittance de son message, en lui montrant qu’on l’a compris. Ne pas le faire, c’est creuser l’écart. Exactement, hélas, ce que sont en train de faire les extatiques du «Grand Genève», au plus haut niveau de nos autorités.

Stigmatisation

Leur premier acte, dès le dimanche 18 mai, fut de se boucher le nez. Insulter la majorité qui avait voté non. Persévérer dans leur métaphore, Lumière née de la Lumière, des «forces du repli» ou des «puissances obscures» contre l’éblouissante clarté de leur vérité à eux. Si tu es partisan du «Grand Genève», tu roules pour le progrès. Si tu as le mauvais goût d’émettre des doutes sur cette félicité transfrontalière, te voilà suppôt des ténèbres, incapable de lucidité ni de discernement, «prisonnier des sirènes populistes». Parce que, bien entendu, camarade citoyen, tu ne possèdes pas l’intelligence de ton vote, tu n’es qu’une âme captive du marché politique. Cette stigmatisation de toute réserve qu’on oserait émettre sur les projets de collaboration avec la France voisine utilise exactement les mêmes vocables que lors de la campagne du 29 novembre 2009 autour du CEVA: le Bien contre le Mal, le Progrès contre la Régression.

Arrogance

Cette terminologie, qui semble surgie tout droit de la Flûte enchantée de Mozart, il faudrait un jour s’interroger, en toute amabilité, sur les références de ceux qui la propagent. Car enfin, plus François Longchamp, président du Conseil d’Etat et les siens traiteront d’arriérés leurs adversaires politiques, plus ces derniers, ravis de leur statut de bouseux telluriques, radicaliseront leur opposition. En clair, plus on les insultera, plus on les méprisera, plus ils la joueront, cette bête immonde dont on les affuble. A cet égard, il n’est pas certain que l’arrogance glacée du président à vie soit le gage de la meilleure concordance dans une République où les oppositions doivent être respectées.

Cécité et surdité

Ce même déni du souverain, le Prince François, évoquant le vote du 9 février, en a fait preuve lors des cérémonies du Bicentenaire. Et l’UDC, seul parti parlementaire d’opposition gouvernementale avec Ensemble à Gauche, l’a relevé lundi 2 juin dans un communiqué très fâché: «M. Longchamp a profité du Bicentenaire pour régler ses comptes, confondant cérémonies patriotiques et discours politiques». Là encore, le principe est le même: cécité et surdité face aux messages du peuple (suisse le 9 février, genevois le 18 mai). Isolement dans une tour d’ivoire. Certitude de détenir la Raison, avec un grand R. Et d’aller vers la Lumière. Avec un grand L. Pendant ce temps, dans la bouse, on laisse gauger le petit peuple. Jusqu’à quand?