Candidats: l’obsession du réseau

éLECTIONS • D’un cocktail à l’autre, où il s’agit à tout prix de se montrer, Genève est une République des miroirs. Un palais des glaces. Tout candidat doit s’y presser. S’il veut exister. Croquis de campagne.

  • La première nécessité du politicien, c’est de se faire connaître. PIXABAY.COM/GERALT

    La première nécessité du politicien, c’est de se faire connaître. PIXABAY.COM/GERALT

La politique est un art compliqué. Pour quelques élus, il est celui de gérer au mieux la Cité, prendre des décisions, anticiper l’avenir, marquer sa génération. Au niveau genevois, qui, depuis la guerre, peut se targuer d’avoir agi à cette hauteur-là? Peut-être André Chavanne, Christian Grobet, Guy-Olivier Segond, et quelques autres, qui voudront bien me pardonner de ne point les citer. On les aime ou non, mais ils ont imprimé leur trace, ça n’est pas rien. En France, toujours depuis la guerre, du général de Gaulle, Pierre Mendès France, François Mitterrand. En Allemagne, Willy Brandt. Bref, à chaque fois une poignée, alors que les politiciens sont légion.

Audience et visibilité

La première nécessité du politicien, c’est de se faire connaître. Emerger. Occuper un espace, d’audience ou de visibilité, qui lui permette d’être identifié. Pas simple! La concurrence est féroce, surtout à l’interne du parti, les places sont chères, personne ne se fait de cadeaux, il faut jouer des coudes, tenter d’exister. Lorsqu’approchent les élections (nos cantonales, ce sera au printemps 2018), les candidats se mettent à tourner dans tous les sens. Il faut être partout, se montrer, prouver immédiatement, sur un réseau social, qu’on a participé à telle communion d’existence, vibré à telle extase de cocktail, souri dans la meilleure des humeurs, touché, embrassé ses contemporains. Bref, attester qu’on est là, bien vivant, débordant de santé, pétaradant de félicité dans le contact des humains.

A chacun son style

A ce jeu d’apparitions, où l’image sainte le dispute à l’aridité du banal, tel conseiller d’Etat PDC, amateur de Harleys, n’ayant besoin de personne (d’autre que lui) pour faire sa pub, fou d’ubiquité, n’a pas son pareil. Il est partout, occupe le terrain jusqu’à l’ultime arpent, rayonne de bonheur. Hélas, tous les candidats ne jouissent pas d’une propension aussi impériale à l’immédiateté. D’aucuns tentent de l’imiter, notre motard archange, sans succès. Et là, gare à la fausse note! Le public n’est pas dupe, et ne pardonne pas les personnages composés, forçant leur nature. En clair, si vous êtes discret et austère, n’essayez pas de mimer le geste auguste du bateleur, cela se retournera contre vous.

Beaucoup de bruit pour rien

Tenue, entre Versoix et Chancy, dans un périmètre fort restreint, Genève est une République des miroirs. Un palais des glaces. Tout le monde y est partout, les corporations s’y enchaînent, les allégeances s’y déchaînent, les appartenances à des multitudes de sociétés s’y entremêlent. On finit par retrouver absolument partout la même grappe de quelques personnages clefs, ceux qui ont compris la puissance du réseau. Tant mieux pour eux. Tout au plus pourrions-nous nous interroger sur un système où le miracle d’une apparition l’emporte sur la qualité de l’argument, où la vélocité à se montrer partout prime sur la puissance de solitude. En cas de crise, c’est pourtant cette dernière qui sera indispensable. Ils auront essaimé, papillonné, butiné. Mais au final, que restera-t-il de ces Zébulons tournicotants? Beaucoup d’écume. Et, comme dans la tragédie, beaucoup de bruit pour rien.