Jean Romain, humaniste et républicain

PORTRAIT • Pour un an, c’est un homme de culture et de pondération, un amoureux des textes et des mots, qui siégera à la présidence du Grand Conseil. Puisse-t-il, parfois, en faire un lieu où souffle l’esprit.

  • Jean Romain a été élu mardi 15 mai à présidence du Grand Conseil. Pendant un an,  il devra arbitrer et se la coincer. LéMAN BLEU

    Jean Romain a été élu mardi 15 mai à présidence du Grand Conseil. Pendant un an, il devra arbitrer et se la coincer. LéMAN BLEU

La présidence du Grand Conseil, ça n’est pas toujours un cadeau. Le rôle d’un député c’est de parler, prendre position, croiser le fer. Et là, justement, celui que ses pairs ont, pour un an, élu au perchoir, doit se la coincer. Sur le fond des débats, il ne peut dire ce qu’il pense. Tout au plus a-t-il le droit d’arbitrer, mesurer le temps de parole, faire la police. Et aussi, hors de l’enceinte, tenir son rôle en inaugurant des tonnes de chrysanthèmes.

Poste singulier

Quelque chose, au fond, de très honorant, et en même temps d’incroyablement frustrant. Comme un grand joueur de foot à qui on dirait: «Pour un an, tu seras arbitre.» J’ai regardé attentivement, depuis des années, le visage de chaque président de notre parlement cantonal, au moment où il siège au perchoir: toujours, quel que soit l’homme ou le parti, ce singulier mélange de dignité et de tristesse. On a quand même l’impression que l’éminent personnage, du haut de sa chaire arbitrale, se dit qu’il pourrait être ailleurs, dans sa vigne ou sur sa piste de pétanque, sur ses pâturages ou les rives du lac. Dire que la fonction rend jovial serait exagéré.

Et c’est là qu’intervient Jean Romain. Elu le mardi 15 mai, brillamment (81 voix), pour déclarer, pendant un an, «Il vous reste dix secondes, votre temps est écoulé, vous n’avez pas la parole, nous sommes en procédure de vote, pas d’opposition, adopté», etc. Chez cet homme de verbe et d’intelligence, un an pour arborer sa sagesse tout en mangeant son chapeau, écouter pérorer des bretteurs moins saillants, soupirer en son for, avaler sa barbe, vitupérer l’époque, proclamer la pause, saluer les personnalités de la tribune, un an!

Son boulot, il le fera bien. Puisse-t-il, en plus de la perfection horlogère qu’implique la conduite des débats, y laisser poindre, juste pour l’étincelle, quelques fragments de lumière dans la nuit arctique de la loi en gestation. Quelques pointes d’humanisme. Quelques comètes d’humour. Juste pour nous rappeler qu’il est Jean Romain, professeur de philosophie à la retraite, essayiste, écrivain, amoureux des lettres et de la pensée, et non Jules Tartempion, simple passant.

Viscéralement radical

Pour le reste, Genève peut se féliciter d’avoir, pour un an, un humaniste et un républicain au perchoir de son parlement. Humaniste, par sa culture, son goût de la chose écrite, son attachement à la Grèce ancienne, sa passion pour les mots. Républicain, car Jean Romain est viscéralement un radical. Il aime l’Etat, n’en rejette pas l’idée comme archaïque. Il a le sens de l’institution. Il n’a rien à voir avec les têtes brûlées ultralibérales qui ont fait tant de mal (ça va mieux maintenant) autour de l’an 2000. Un rien d’atavisme, que vous me pardonnerez, me conduira, comme pour Guy Mettan, à saluer son origine valaisanne, le sens de l’image et de la formule, la chaleur de la sève au cœur de chaque artère. Bref, à mon ami Jean Romain, qui porte haut la mémoire et l’exigence, je souhaite une excellente année présidentielle.