Les physiothérapeutes veulent 
tordre le bras au Conseil fédéral

BRAS DE FER • Les physios dénoncent la réforme de tarification mise en consultation par le Conseil fédéral. Pour eux, non seulement la qualité des soins en serait péjorée, mais leur rémunération diminuerait. De quoi rendre encore moins attractive une profession où la pénurie guette pourtant.

«En moyenne, 27% des physiothérapeutes quittent la profession chaque année»
Philippe Rochetin, président 
de Physio Genève

«C’est clair, si nous passons à trois séances de travail par heure, je refuse car dans ce cas, c’est moi qui vais tomber malade!». «Pour moi, avec un tel niveau de rémunération, la solution sera toute trouvée: je vais laisser tomber les prestations LAMal et me tourner vers d’autres plus lucratives et remboursées par les complémentaires. Mais dans ce cas qui assurera le service de base aux patients?».
Ces deux témoignages de physiothérapeutes indépendantes, l’un recueilli à Lausanne, l’autre à Genève, sont très emblématiques du véritable tsunami qui secoue la profession depuis que le Conseil fédéral, via l’Office fédéral de la santé publique, a décidé de mettre en consultation en août dernier, une nouvelle structure tarifaire des prestations de physiothérapie. Depuis, la profession s’est mobilisée, et une pétition qui a déjà récolté plus de 100'000 signatures, sera déposée le 17 novembre à Berne, précisément à la fin du délai de consultation. Pour comprendre ce qui se joue, il faut avoir à l’esprit qu’aujourd’hui, les modalités de remboursement et de tarification des actes de physiothérapie, très simples, n’ont rien à voir avec l’usine à gaz que peut représenter TARMED pour les médecins. Chez les physios, deux types d’actes sont remboursés, la prestation standard à hauteur de 48 francs dans le Canton de Vaud et 51 francs à Genève et la prestation dite «complexe», pour les cas qui prennent plus de temps, 77 francs sur Vaud et 87 à Genève.
Travail administratif non payé
Ces taux de rémunération qui n’ont quasiment pas bougé depuis 25 ans avec une unique réévaluation à la hausse de 8% il y a bien longtemps, ont l’inconvénient de ne pas prendre en compte, à l’inverse des médecins par exemple, l’important temps de travail administratif consenti par la profession et qui n’est donc pas payé: étude et mise à jour des dossiers, courriers aux autres praticiens, coordination du travail avec les médecins prescripteurs, etc.
Et il y a pire: pour les quelque milliers de physios qui officient sur l’arc lémanique aujourd’hui, la donne pourrait encore se péjorer.  Le Conseil fédéral envisage en effet d’introduire une nouvelle prestation de base, plafonnée à 20 minutes, et c’est précisément cette disposition, entre autres, qui fait bondir les physiothérapeutes: «20 minutes pour une prestation standard, cela n’a pas de sens, c’est même une ineptie, s’insurge Thierry Smets, président de Physio Vaud. Si on en retranche les cinq minutes d’accueil, la désinfection des locaux etc, il ne reste pas suffisamment de temps pour prendre en charge correctement les patients». «Nous sommes un métier d’accompagnement du patient avec beaucoup de pédagogie car nous devons lui apprendre des gestes, explique Sophie Acker, physiothérapeute indépendante à Grandson. A ce titre, nous faisons vraiment du sur-mesure. Avec des consultations plafonnées à 20 minutes, cela se fera forcément au détriment de la qualité».
Au-delà de la qualité des soins, se pose également à nouveau le problème de la rémunération. Selon les physiothérapeutes, et en raison même de l’augmentation de la charge administrative non rémunérée, trois consultations en une heure ne permettraient pas de maintenir leur revenu actuel.
«Pour espérer maintenir le même niveau, on devra passer de 16 patients par jour en moyenne à 24. Alors pour survivre à Genève, un physiothérapeute devra forcément travailler plus de 8 heures par jour», déplore Philippe Rochetin, président de Physio Genève, qui compte près de 700 membres dans le Canton du bout du lac.
Risque de pénurie
«Le projet du Conseil fédéral prévoit en plus de baisser la rémunération des prestations complexes, qui passera de 77 à 72 francs, renchérit Thierry Smets. Cela veut dire que les physiothérapeutes verront leur revenu baisser de 6%».
Le risque existe d’aggraver la pénurie en physiothérapeutes qui sévit depuis longtemps à Genève et qui gagne progressivement le Canton de Vaud. «On estime qu’en moyenne 27% des physiothérapeutes quittent la profession chaque année et ce chiffre, déjà très inquiétant va s’aggraver si la réforme du Conseil fédéral venait à passer. Ceci d’autant plus que beaucoup de physios iront en outre chercher des revenus annexes ailleurs», conclut Philippe Rochetin.

 

En cause, les coûts de la santé

C’est en s’appuyant sur le nécessaire contrôle des coûts de la santé que le Conseil fédéral a souhaité réformer les tarifs des physiothérapeutes. En dix ans en effet, les coûts de physiothérapie à la charge de l’assurance de base ont quasiment doublé, passant à 1,3 milliard de francs. Un chiffre que les physiothérapeutes ne contestent pas mais qu’ils attribuent au fait qu’à la demande des autorités, de plus en plus d’actes de physiothérapie sont effectués – toujours sur prescription médicale – en ambulatoire.
La hausse des coûts sur la LAMal liés à la physiothérapie (3,6 % de l’ensemble des coûts) ne serait ainsi mathématiquement qu’un report des coûts auparavant pris en charge au niveau hospitalier. «Entre 2010 et 2020, les coûts liés à la physiothérapie ont augmenté de 93%, un chiffre à mettre en parallèle avec les soins à domicile dont les coûts ont grimpé de 91%. Les physiothérapeutes n’ont fait que répondre présent à leur mission de service public», défend Thierry Smets président de Physio Vaud.